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taisie de son existence pour lui mériter l’indulgence d’une génération ennemie de la règle.

Ses mœurs n’étaient pas d’un bourgeois, si elles n’étaient pas d’un poète chevelu. Gérard de Nerval avait généralement plusieurs domiciles, mais il n’en habitait aucun. Il travaillait en marchant, dans la rue si le temps était beau, dans les passages aux jours de pluie, ne s’arrêtant que pour tirer de ses grandes poches des carnets et des bouts de papier où il notait ce qui lui passait par la tête, tantôt sur une table de cabaret, tantôt dans le creux de sa main et au crayon. Il abandonnait ensuite ces chiffons partout, « comme l’oiseau laisse de ses plumes aux endroits qu’il traverse », et sa négligence nous en a conservé des poignées, ramassées par ses amis. Étrange fouillis d’idées parfois plus étranges encore, jetées confusément sur le papier, dans tous les sens, et mêlant les systèmes du monde aux notes d’auberge, les réflexions de M. Labrunie père aux mots d’esprit à placer un jour ou l’autre dans un article ou une pièce de théâtre. C’est infiniment curieux et vivant ; les petits papiers de Gérard de Nerval permettent de surprendre le travail du cerveau humain dans son désordre et son effervescence.

L’instant venu de donner à l’imprimerie la page promise, il fallait bien se décider à débrouiller ce chaos. On voyait alors arriver « le bon Gérard » dans les bureaux d’un journal. Il tirait de ses poches une petite bouteille d’encre, des plumes, des bouchons de papier couverts de notes, toute une bibliothèque de livres et de brochures, et se mettait en devoir d’écrire : — « Il travaillait avec acharnement, jusqu’à ce que l’arrivée de quelque connaissance le forçât de prendre la fuite. De là, il entrait au café d’Orsay, s’installait à une table isolée et déployait tout son matériel. À peine