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son portier, pas même devant les chevelures mérovingiennes et les redingotes hongroises dont l’assemblage, en prenant la moyenne des dates, donnait un contemporain de la première croisade. Il s’étudiait à avoir l’œil fatal, la voix caverneuse et le teint cadavéreux. Son ambition suprême, qu’on aurait tort de railler, était de « se soustraire aux tyrannies de la civilisation » en apprenant à se passer de tout ; Petrus Borel couchait dans les démolitions et se nourrissait de pommes de terre cuites sous la cendre, sans sel — le sel était le luxe du dimanche, — pour pouvoir se promener du matin au soir suivi de ses disciples, « le coin de son manteau jeté sur l’épaule, traînant derrière lui son ombre, dans laquelle il n’aurait pas fallu marcher[1] ». Temps ingénus, où les mères emmenaient leurs filles quand Monpou se mettait au piano pour chanter l’Andalouse ! Temps heureux, où rien ne coûtait pour caresser sa chimère et servir la cause du beau !

Les jeunes écoles sont forcées d’être intolérantes et agressives. Jamais les romantiques ne seraient venus à bout de leur tâche, jamais ils ne nous auraient débarrassés de la queue de l’armée classique, sans leur intransigeance et leur violence. C’était tout juste, et avec des soupirs, s’ils passaient à Victor Hugo ses petits cols de chemise d’un goût bourgeois, et Victor Hugo était un dieu, élevé par sa divinité au-dessus des lois et de l’opinion. Il fallut leur grande amitié pour qu’ils passassent à Gérard Labrunie, qui n’était pas un dieu, d’être ce qu’il était. Gérard avait tout à se faire pardonner, à commencer par son visage blanc et rose de chérubin, au-dessus duquel une chevelure blonde faisait « comme une fumée d’or ». Il avait une fossette au menton et une bouche au sourire d’enfant,

  1. Théophile Gautier, Histoire du romantisme.