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pour longtemps, peut-être pour toujours, il lui ouvrait les bras ; la preuve en est sous mes yeux, dans ces lignes inédites, écrites à vingt ans : — « L’homme de lettres jouirait-il de cette indépendance, s’il pouvait ouvrir son âme au désir de la fortune et au vil intérêt ? Non : l’intérêt et la liberté se combattent. Homme de lettres, si tu as de l’ambition, ta pensée devient esclave et ton âme n’est plus à toi… Si tu t’occupes de fortune, tu te mets toi-même à l’encan ; crains de calculer bientôt le prix d’une bassesse et le salaire d’un mensonge. Si ton âme est noble, ta fortune est l’honneur… Si elle ne te suffit pas, renonce à un état que tu déshonores. Un journal a dit de mois : — M. Gérard ne sera ni receveur général, ni colonel, ni maître des requêtes. — C’est l’éloge le plus délicat qu’on puisse adresser à un jeune poète. Je suis heureux de l’avoir inspiré[1]. »

Ce n’est pas tout que de mépriser les recettes générales ; encore faut-il savoir supporter la misère. Gérard de Nerval allait fournir un exemple de plus de l’utilité pratique de l’idéalisme.


II

Gérard de Nerval chez les romantiques, c’était Daniel dans la fosse aux lions. Les cénacles se faisaient une gloire, et un devoir, de prendre des airs dévorants. Leurs membres ont été plus tard les premiers à se moquer en gens d’esprit du temps où ils étaient condamnés à être « titaniques » et « sataniques » à perpétuité, dans toutes les situations de la vie. Jamais de

  1. Fonds Arsène Houssaye. Le carnet auquel j’emprunte ce passage a été commencé le 27 mai 1828.