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rue[1] ». Poe a son monument, qui fut inauguré à Baltimore, en 1875, avec l’accompagnement obligé de discours, de musique et de récitations. On remarque toutefois chez les Américains un peu d’étonnement à l’idée que nous le prenons tout à fait au sérieux. Les mieux disposés ont ouvert de grands yeux en lisant dans un Dialogue des morts de M. Jules Lemaître (qui ne prenait peut-être pas lui-même ses « morts » tout à fait au sérieux) les lignes éloquentes que voici : « Edgar Poe. Vous dites bien. J’ai vécu vingt-trois siècles après Platon et trois cents ans après Shakspeare, à quelque douze cents lieues de Londres et à quelque deux mille lieues d’Athènes, dans un continent que nul ne connaissait au temps de Platon. J’ai été un malade et un fou ; j’ai éprouvé plus que personne avant moi la terreur de l’inconnu, du noir, du mystérieux, de l’inexpliqué. J’ai été le poète des hallucinations et des vertiges ; j’ai été le poète de la Peur. J’ai développé dans un style précis et froid la logique secrète des folies, et j’ai exprimé des états de conscience que l’auteur d’Hamlet lui-même n’a pressentis que deux ou trois fois. Peut-être aurait-on raison de dire que je diffère moins de Shakspeare que de Platon : mais il reste vrai que nous présentons trois exemplaires de l’espèce humaine aussi dissemblables que possible. »

Plus inattendue encore a dû sembler aux Américains cette note de Baudelaire, trouvée après sa mort dans ses papiers : « Je me jure à moi-même de prendre désormais les règles suivantes pour règles éternelles de ma vie : — Faire tous les matins ma prière à Dieu, réservoir de toute force et de toute justice, à mon père, à Mariette et à Poe, comme intercesseurs : les prier de me communiquer la force nécessaire pour

  1. Ingram, vol. II, appendice E.