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toute une longue, longue, une atroce nuit de Désespoir. » Au matin, il alla acheter du laudanum et l’avala, sans autre résultat qu’un accès de folie : — « Un ami se trouvait là, qui me secourut et me sauva (si cela peut s’appeler sauver), mais il n’y a que trois jours que je peux me rappeler ce qui s’était passé[1]… »

Une autre lettre à la même amie contient une peinture lugubre de la mélancolie à forme maniaque qui était désormais son lot. Il vient de lui raconter que les revues sur lesquelles il avait compté lui font défaut : — « Vous attribuez sans doute ma sombre tristesse à ces événements, continue Poe. Vous avez tort. Il n’est pas au pouvoir de considérations de ce genre, purement mondaines, de m’abattre… Non, ma tristesse est inexplicable, et cela me rend d’autant plus triste. Je suis plein de sombres pressentiments. Rien ne me réconforte ou ne me console. Ma vie me semble une ruine — l’avenir morne et vide : mais je lutterai, et j’espérerai contre toute espérance… » La tante Clemm avait ajouté quatre lignes en post-scriptum : « … J’ai cru plusieurs fois qu’il allait mourir. Dieu sait que je nous souhaite tous les deux dans nos tombes, — cela vaudrait bien mieux… »

Le premier accès de delirium tremens dont il soit fait mention par ses biographes date des premiers jours du mois de juillet 1849. Les hallucinations furent effroyables. Il se voyait poursuivi par des ennemis, se débattait contre des fantômes, et implorait du laudanum avec des cris déchirants ; la raison ne lui revint qu’au bout de plusieurs jours. Les deux mois qui suivirent amenèrent deux autres accès. Au troisième, son médecin l’avertit que le quatrième l’emporterait. Ils eurent ensemble, à ce sujet, une longue conversa-

  1. Lettre du 16 novembre 1848. — Ingram, vol. II.