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dessein. Un ami de l’auteur[1] la recommanda dans une revue « comme un exercice de langage », une « jonglerie de mots rares, exquise d’adresse et très piquante », bref, une « curiosité philologique » ; et ce miracle d’inintelligence ne fut pas isolé, tant s’en faut. Aujourd’hui encore, ceux qui mettent tout le prix de la poésie dans la perfection de la forme goûtent médiocrement Ulalume. Elle exerce sur d’autres un charme irrésistible ; ils y entendent la plainte d’une âme blessée à mort ; ils y sentent la confession personnelle « la plus spontanée et la plus sincère[2] » de toute l’œuvre d’Edgar Poe.

Peu de temps après sa publication, on annonçait à New York une conférence sur l’Univers, par M. Poe. Elle eut lieu le 3 février 1848 devant une salle à peu près vide. À l’entrée de l’orateur, ses rares auditeurs furent « affectés presque péniblement », rapporte l’un d’eux, par son air « inspiré » et l’éclat étrange de ses yeux : « Ils brillaient comme ceux de son corbeau. » Pendant deux heures et demie, Poe leur développa une « Proposition générale » qu’il formulait ainsi : « C’est parce qu’il n’y avait rien, que toutes choses sont. » D’après sa correspondance, les journaux louèrent sa conférence, mais pas un n’y avait compris un traître mot. Le mois suivant, l’un des grands éditeurs de New York voyait entrer dans son bureau un agité qui réclama son attention pour une affaire de la dernière importance : « Il s’assit auprès de mon bureau, me regarda fixement une bonne minute de son œil étincelant et dit enfin : « Je suis M. Poe. » Je fus naturellement tout oreilles… Il reprit après une pause : « Je ne sais par où commencer. C’est une chose d’une immense

  1. Le poète Willis.
  2. Woodberry, loc. cit.