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ciennes ténèbres, retomba dans les régions d’Hespérus et emporta loin de la Vallée du Gazon-Diapré le spectacle infini de sa pourpre et de sa magnificence. »

Poe tomba dangereusement malade après l’enterrement et fut longtemps à se remettre. Mrs Shew rapporte qu’à force de privations héroïques, à force d’avoir eu faim et froid pour pouvoir acheter à Virginie des remèdes ou des aliments, il en était arrivé à un état d’épuisement qui faillit le mettre au tombeau. Il guérit cependant, mais ce fut pour son malheur, et il ne le savait que trop ; on le surprenait, dans les bois du voisinage, assis à l’écart et « murmurant son désir de mourir ». Jamais, du moins, la crainte d’être abandonné par la tante Clemm n’effleura son esprit. C’est dans ce crépuscule de sa vie qu’il composa le sonnet dédié À ma mère, digne pendant à la lettre de Mme Clemm qu’on a lue tout à l’heure :

« Parce que je sens que là-haut dans les cieux les Anges, quand ils se parlent doucement à l’oreille, ne trouvent pas parmi leurs termes brûlants d’amour d’expression plus fervente que celle de Mère,

« Je vous ai dès longtemps justement appelée de ce grand nom, vous qui êtes plus qu’une mère pour moi et remplissez le sanctuaire de mon cœur, où la Mort vous a installée en affranchissant l’âme de ma Virginie.

« Ma mère, ma propre mère, qui mourut de bonne heure, n’était que ma mère à moi ; mais vous, vous êtes la mère de celle que j’aimais si tendrement,

« Et ainsi, vous m’êtes plus chère que la mère que j’ai connue de tout un infini, — juste comme ma femme était plus chère à mon âme qu’à celle-ci sa propre essence. »

Après la mort de Virginie, les ténèbres s’épaissis-