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chasser, comme toujours. Le propriétaire de la revue eut l’indignité de faire imprimer sur la couverture[1] une note transparente, au sujet de « la personne dont « les infirmités » lui avaient causé tant d’ennuis ». Un peuple qui lit autant la Bible aurait pourtant dû se souvenir du manteau de Noé. Le coup fut terrible pour le poète infortuné. Il existe de lui une lettre d’homme affolé, adressée à la suite de ce scandale à un médecin qui avait pris sa défense. Poe essaie de nier et ment, puis il avoue à demi, puis il ment encore, et ce sont des mensonges si grossiers, qu’à peine peut-on l’accuser d’avoir voulu tromper : « J’ai à vous remercier de m’avoir défendu… Je vous jure devant Dieu que je suis d’une sobriété rigoureuse. Depuis l’instant où j’ai vu pour la première fois ce vil calomniateur, jusqu’à celui où j’ai quitté ses bureaux, vaincu par le dégoût que m’inspiraient son esprit de chicane, son arrogance et sa brutalité, aucune boisson plus forte que l’eau n’a jamais passé mes lèvres. » Il explique ensuite, « pour être parfaitement franc », qu’il y eut une époque où il cédait de loin en loin à la tentation : « En un mot, il m’est arrivé quelquefois de me griser complètement. Après chaque excès, j’étais invariablement au lit pour plusieurs jours. Mais il y a maintenant quatre ans que j’ai entièrement renoncé à toute espèce de boisson alcoolique — quatre ans, sauf une seule infraction… » Il justifie son « infraction », patauge, et répète à tout hasard, pour le cas où l’on voudrait bien faire semblant de le croire : « Je ne bois que de l’eau. »

Plus pénible encore est une autre lettre où il dissimule sa honte sous un ton de badinage. Des amis l’avaient mandé à Washington, dans l’espoir de lui procurer une sinécure dans la douane. Poe accourt,

  1. Gentleman’s Magazine de septembre 1840.