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porté « une paire de souliers, plus 12 shellings », n’avait pas été l’un des plus mal payés. Il reçut 10 dollars pour le Corbeau, 52 pour le Scarabée d’Or, qui a cinquante pages dans la traduction française. Il travailla pour les journaux à raison d’un dollar la colonne et donna le Silence, ou telle autre petite merveille, pour « cinq ou dix dollars, si ce n’est même pour rien ». En 1841, l’éditeur de son premier volume de contes se récusa pour le second : « — Nous n’avons pas fait nos frais », dit la lettre de refus. Poe remarquait avec amertume que le succès lui venait d’Europe : « — Que de fois, disait-il, mes écrits sont passés entièrement inaperçus jusqu’à ce qu’ils eussent été réimprimés à Londres ou à Paris. » Force lui était de se rejeter sur le « gros ouvrage », qui lui dévorait son temps et ses forces, et ce n’était pas encore le plus grave ; le « gros ouvrage » l’obligeait à vivre parmi les autres hommes, au contact irritant, dans les rues peuplées de cabarets, au lieu d’apaiser ses nerfs dans la solitude de la campagne, loin des tentations et sous la garde vigilante de la tante Clemm. Les conséquences furent désastreuses.


VII

Poe a eu des « places » dans beaucoup de revues ou de journaux américains. Il a été le rédacteur à tout faire qui manie les ciseaux, corrige les épreuves, remet les phrases sur leurs pieds et fabrique au commandement un article sur mesure pour boucher un trou. Il a été le sous-sous-secrétaire « assis à un pupitre dans un coin de la salle de rédaction[1] », et dont les

  1. Lettre de Willis, du 17 octobre 1859.