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Edgar Poe leur parut un esprit dévoyé, et ils joignirent leurs efforts, auteurs et éditeurs, critiques et amis, pour le remettre sur la route du sens commun et de la simplicité. On ne leur ôtait pas de la tête que cet homme-là était né pour écrire des farces, malgré ses airs de porter le diable en terre, et que c’était lui rendre service que de l’y contraindre bon gré mal gré. Comment, pourquoi, ils avaient eu cette idée saugrenue, je ne me charge point de l’expliquer, mais c’est un fait. Le romancier John Kennedy — le même qui avait habillé et nourri Poe au plus fort de sa détresse — lui écrivait à titre d’ami, le 19 septembre 1835 : « — Est-ce que vous ne pourriez pas écrire quelques farces dans la manière des vaudevilles français ? Je suis sûr que vous le pourriez, et vous en tireriez très bon parti en les vendant aux directeurs de théâtres de New York. Je souhaite que vous méditiez mon idée. » Du même, le 9 février 1836 : « — Votre défaut, c’est votre goût pour l’extravagant. Je vous supplie de vous en défier. On trouve cent écrivains où l’effort est sensible, pour un qui est naturel. Quelques-unes de vos bizarreries ont été prises pour de l’ironie — et admirées en qualité de satires,… à tort, puisque vous ne songiez à rien moins. J’aime votre grotesque ; il est d’excellent aloi, et je suis sûr que vous feriez merveille dans le comique… Soyez absolument sobre de corps et d’esprit — et je vous garantis… le succès et le bien-être[1]. »

Presque à la même date, une grande librairie à laquelle il avait offert ses contes lui fit répondre : « — (3 mars 1836.) C’est obscur ; on ne distingue pas à quoi cela s’applique. Les lecteurs ordinaires ne comprendraient pas où l’auteur veut en venir, et ne pourraient point, par conséquent, jouir de la fine satire qui

  1. Poe in the South (The Century, août 1894, New York).