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Iéna ne possédait pourtant, comme on l’a dit spirituellement[1], que « la chaire » du romantisme. L’église était à Berlin, où elle prospérait. Un groupe de Juives intelligentes et peu austères, les Rahel, les Henriette Herz et leurs amies, y menaient le chœur des muses folles devant un troupeau enthousiaste de poètes, de savants, et même de théologiens. L’espèce humaine est si peu inventive, qu’à Berlin comme à Weimar et à Iéna, l’amour libre représentait le point culminant de la génialité. Il en a été de même en France pour nos romantiques de 1830. Est-ce qu’on ne trouvera jamais autre chose ?

Il faut dire, à l’excuse de la jeunesse germanique d’il y a cent ans, que le milieu d’où elle sortait était souvent bien peu intellectuel, bien peu propre à contenter et à retenir des esprits ardents et curieux. La plupart des nobles ne se piquaient que d’être grands chasseurs et grands buveurs ; nombre de bourgeois ne le cédaient en rien, pour l’humeur routinière et provinciale, à l’oncle d’Hoffmann ou au père de Goethe, nombre de parents étaient aussi incapables qu’eux, par le même zèle étroit et mal entendu, de respecter la personnalité d’autrui. Il est pénible de se sentir suspect aux siens, et c’est ce qui arrivait fréquemment aux jeunes gens. Hoffmann, qui en savait quelque chose, a dépeint la situation avec vivacité dans une page du Chat Murr où il se met en scène sous son déguisement favori de Jean Kreisler, maître de chapelle. L’une de ses héroïnes, Mme la conseillère Benzon, est en train d’exprimer sa satisfaction de ce qu’il est arrivé malheur à ce Kreisler dont l’esprit tourmenté se plaît à remuer des problèmes qu’il vaut infiniment

  1. Rudolf von Gottschall, Die deutsche Nationallitteratur des neunzehnten Jahrhunderts.