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ficelles sont tirées par les obscures puissances qui président à nos destinées retrouvent sous la terre d’autres volontés sans forme qui les tourmentent de plus belle. Poe rapporte dans un de ses contes qu’il entrevit une fois la scène complémentaire du drame, et l’on n’a rien écrit de plus propre à donner le cauchemar.

Une nuit, une voix inarticulée lui dit : Lève-toi, et regarde. — En même temps, une main le tirait. Il obéit : — « Je regardai. La figure voilée qui me retenait encore par le poignet avait entr’ouvert les tombes de l’humanité tout entière. De chacune d’elles s’échappait une faible lueur, la phosphorescence de la pourriture, en sorte que mon regard pouvait discerner les corps ensevelis, en proie aux vers, et dormant leur sommeil, lugubre et solennel. Mais, hélas ! ceux qui dormaient vraiment étaient de beaucoup les moins nombreux ; bien des millions ne dormaient pas du tout ; et ils semblaient se débattre faiblement ; et il y avait comme une inquiétude générale et douloureuse, et l’on entendait bruire sinistrement les linceuls dans les profondeurs de ces fosses sans nombre ; et parmi ceux qui avaient l’air de reposer tranquillement, j’en vis beaucoup qui avaient plus ou moins changé la position raide et incommode qui leur avait été donnée au moment où ils avaient été enterrés.

« Et, pendant que je regardais, la voix reprit : — N’est-ce pas là, — oh ! n’est-ce pas là un spectacle lamentable[1] ? »

Les poésies d’Edgar Poe où l’on ne sent point passer la mort sont en minorité, et ce sont rarement les plus belles.

  1. The premature burial. Ce conte ne figure point parmi ceux que Baudelaire a traduits.