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lézard — près des mares sinistres et des étangs où les goules font leur demeure, — dans tous les lieux maudits, — dans les recoins les plus lugubres, — le voyageur rencontre avec terreur les Ombres voilées du Passé — fantômes drapés de blanc qui tressaillent et soupirent en passant — fantômes vêtus de linceuls, fantômes d’amis que l’agonie a depuis longtemps rendus à la Terre — et au Ciel… »

Il n’apercevait le monde réel qu’à travers des sortes de vertiges et à l’état de fantasmagorie. Des bouquets d’arbres sur un gazon sont pour lui « comme des explosions de rêves ». Il voit les ombres d’un bois arrosé par un ruisseau se détacher des troncs et tomber dans l’eau, qui les « boit » et « devient plus noire de la proie qu’elle avale », tandis que « d’autres ombres renaissent des arbres, prenant la place de leurs aînées défuntes ». Il y avait des jours — les bons, d’après lui, — où Poe pouvait dire comme le héros de Bérénice, son très proche parent : « — Les réalités du monde m’affectaient comme des visions, et seulement comme des visions, pendant que les idées folles du pays des songes devenaient en revanche, non la pâture de mon existence de tous les jours, mais positivement mon unique et entière existence elle-même. »

Il n’était peut-être rien dont il fût aussi fier que de ses relations, qui ne faisaient point doute pour lui, avec le monde occulte. — « Ceux qui rêvent éveillés, disait-il, ont connaissance de mille choses qui échappent à ceux qui ne rêvent qu’endormis. Dans leurs brumeuses visions, ils attrapent des échappées de l’éternité, et frissonnent, en se réveillant, de voir qu’ils ont été un instant sur le bord du grand secret. » La foule imbécile les traite de fous ; que leur importe ? La science les appelle des malades ; béni soit leur mal,