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Poe ne resta qu’un an à l’université. En voyant le train des choses, le chiffre de ses dettes, M. Allan s’alarma et le prit dans ses bureaux. Il s’enfuit, comme avait fait son père vingt-trois ans plus tôt. « Il m’a quitté, écrivait M. Allan, à cause d’une affaire de jeu à l’université, à Charlottesville, parce que (je suppose du moins que c’est pour cela) j’ai refusé de sanctionner une règle adoptée là-bas par les fournisseurs et autres individus, qui baptisent dettes d’honneur toutes les inconséquences. » Le jeune révolté avait gagné Boston, la tête bourdonnante de rêves de gloire. C’était à la poésie qu’il comptait demander l’immortalité. Il publia une plaquette de mauvais vers auxquels personne ne fit attention, et se trouva bientôt à bout de ressources. Jusqu’à ces derniers temps, on n’avait su que par lui-même ce qu’il était alors devenu. Il en avait dicté un récit sur la fin de sa vie, un jour qu’il n’était pas dans son bon sens. L’histoire est longue ; j’abrège.

La Grèce était soulevée contre le Turc, et l’âme de l’adolescent tressaillait d’enthousiasme aux grandes actions d’une poignée de héros. Il partit pour offrir son bras aux insurgés. Passant par la France — est-ce à l’aller, est-ce au retour ? Poe laissait dans l’ombre sa campagne de Grèce, — il fut gravement blessé en duel, et soigné par une étrangère de haut rang, qui devint son ange tutélaire. Après des aventures « terribles », qu’il avait retracées en les adoucissant dans un roman intitulé la Vie d’un artiste[1], il s’était rembarqué pour l’Amérique sur les instances de sa bienfaitrice, qui lui montrait la gloire au bout de la carrière des lettres. Quand on lui demandait pourquoi il n’avait

  1. Voici le titre complet : The life of an artist, at home and abroad.