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occasion le rend manifeste. C’est quelquefois de très bonne heure, pendant l’enfance, si l’individu grandit dans un milieu où règne l’abus de l’alcool ; c’est habituellement plus tard, entre quinze et vingt-cinq ans pour les garçons[1]. » Ces lignes s’appliquent admirablement à la famille d’Edgar Poe.

On croit que David Poe n’existait plus au moment de la naissance de sa fille. Quelques mois après, Élisabeth agonisait à son tour. Elle expira vers la fin de 1811, dans un dénûment profond.

S’il fallait une preuve que la vie morale des Puritains s’inspirait des duretés de l’Ancien Testament et des vengeances de Javeh, bien plus que des miséricordes de l’Évangile, on la trouverait dans la conduite du général Poe à la mort de sa belle-fille. Il y avait là trois orphelins, dont l’aîné avait cinq ans. Le général Poe ne s’occupa pas de ces innocents, et il ne paraît pas que sa femme se soit mise plus en peine que lui de ce que devenait la chair de leur chair et le sang de leur sang. Des étrangers charitables se partagèrent les petits abandonnés. Edgar échut à un riche négociant en tabac, nommé John Allan, qui n’avait pas d’enfant, et dont la femme avait été séduite par les yeux brillants et l’étrange précocité d’une figure parlante qu’elle ne comprenait point. Les jugements légers du monde vantèrent la bonne étoile de ce petit meurt-de-faim, destiné désormais à des lambris dorés, et il ne le crut lui-même que trop en grandissant. Son éducation fut faussée par ce malentendu énorme. M. Allan n’avait cédé qu’avec répugnance au caprice de sa femme pour le rejeton d’une souche méprisée, et, dans son for intérieur, il lui faisait la charité, alors qu’Edgar Poe, trompé par les apparences, s’accou-

  1. L’Hérédité et la pathologie générale.