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vie de bohème parmi d’autres bohèmes qui avait pu le corriger. Sa femme étant aussi une dégénérée et une phtisique, leurs enfants à naître n’avaient qu’une chance d’être sains : c’était de ressembler par-dessus leurs têtes aux grands-parents Poe, et c’est, malheureusement, ce qui n’arriva pas.

L’existence des jeunes mariés ressemblait à celle que mènent les comédiens de nos troupes de sous-préfecture. Ils roulaient de ville en ville, très peu payés et comptant sur les représentations à bénéfice pour avoir du pain. On a conservé de leurs boniments au public. Ils y avouaient sans fausse honte qu’une salle vide serait « la misère », et la salle ne se remplissait pas toujours. Leurs enfants vinrent au monde entre des pots de fard et des notes impayées, au sortir d’une représentation et presque à la veille d’une autre, car la mère n’avait guère le loisir d’être malade.

Ils en eurent trois. William, l’aîné, fut un demi-fou, qui buvait, et qui mourut jeune après une existence de casse-cou. Une tradition de famille en fait un adolescent de génie, ayant écrit de très beaux vers qui se sont perdus. Edgar était le second ; il naquit le 19 janvier 1809. Leur sœur Rosalie était presque idiote et a fini dans un hospice.

Ainsi, l’hérédité s’était acharnée sur cette race. Sur trois, elle n’en avait pas pardonné un seul, et les désordres qu’on relève chez les enfants de David Poe sont précisément ceux qui menacent les enfants des alcooliques. — « L’observation clinique, dit le docteur Le Gendre, a révélé qu’il peut exister chez les enfants des alcooliques, soit un besoin inné de boire, soit des troubles purement fonctionnels du système nerveux, soit des altérations organiques des centres nerveux. Le goût des boissons alcooliques sommeille, comme tant d’aptitudes héréditaires, jusqu’au jour où une