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veillait ensuite sur son éducation[1]. « Mais ne croyez pas qu’il s’agisse ici de cette pédagogie qui ne règne que par les alphabets et les grammaires. L’éducation de Levana représente ce puissant système de forces centrales qui est caché dans le sein profond de la vie humaine et qui travaille incessamment les enfants, n’arrêtant ni jour ni nuit, leur enseignant tour à tour la passion, la lutte, la tentation, l’énergie de la résistance… »

Une pareille éducatrice ne peut que « révérer profondément les agents de la douleur ». Les chagrins des enfants, quoi qu’on en dise, sont aussi cuisants que ceux des hommes. Beaucoup de pauvres petits en meurent ; seulement, on donne un autre nom à leur maladie. « C’est pourquoi Levana s’entretient souvent avec les puissances qui font trembler le cœur de l’homme ; c’est pourquoi elle raffole de la douleur. » Quincey l’avait vue souvent en rêve, avec les trois ministres de ses desseins mystérieux, trois sœurs, « trois puissantes abstractions qui s’incarnent dans toutes les souffrances individuelles du cœur humain… Appelons-les donc Nos dames de douleur. Je les connais à fond et j’ai parcouru leurs royaumes en tous sens. Elles sont de même famille ; et leurs routes sont très distantes l’une de l’autre ; mais leur empire est sans bornes[2]. Je les ai vues souvent conversant avec Levana, et quelquefois même s’entretenant de moi. Elles parlent donc ? Oh ! non. Ces puissants fantômes dédaignent les insuffisances du langage. Elles peuvent proférer des paroles par les organes de l’homme, quand elles habitent dans un cœur humain ; mais, entre elles, elles ne

  1. Suspiria : Levana and our Ladies of Sorrow.
  2. Une grande partie de ce qui suit a été traduit par Baudelaire.