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des événements qui illustraient, s’ils ne les prouvaient, les doctrines sur les rêves, les avertissements prophétiques, la seconde vue et le magnétisme[1]. »

Une tasse de café le ramenait sur terre en achevant de dissiper le sommeil. Le causeur s’animait et ravissait son auditoire. Il était incomparable, de l’avis de tous ceux qui l’ont entendu. Quincey causait en artiste, et non en bavard. Il savait écouter. Il élevait et élargissait tous les sujets, et il s’exprimait avec une courtoisie aristocratique que ses accoutrements de mendiant romantique rendaient très frappante. Les maîtres de maison d’Édimbourg ambitionnaient tous de l’avoir à dîner ; mais ce n’était point chose facile. Il ouvrait rarement les invitations ; elles étaient classées parmi les correspondances qui « le rendaient malheureux ». D’ailleurs, ouvertes ou non, il était incapable d’aller à heure fixe à un endroit donné ; l’opium avait aboli chez lui la notion du temps. Il fallait l’envoyer chercher. Le « pauvre petit » suivait le messager sans résistance, sinon de bon cœur, et les invités avaient un double régal. Celui des yeux, premièrement. Voici dans quel appareil Quincey parut un soir à un dîner de cérémonie : « Il portait un paletot en grosse étoffe à longs poils, râpé, troué, et boutonné jusqu’au menton. Au cou, un mouchoir de couleur. Aux pieds, des chaussons de lisière pleins de neige. Son pantalon — quelqu’un suggéra que son pantalon était un caleçon noirci avec de l’encre, mais il n’aurait jamais pris la peine de déguiser son caleçon[2]. » Au bout de cinq minutes, personne ne pensait plus au costume de Quincey ; on était tout oreilles.

Il y avait plus difficile encore que de l’avoir : c’était

  1. Memoirs of a literary veteran, par R. P. Gillies.
  2. John Hill Burton, loc. cit.