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lisières de la convention et du lieu commun. Mais il a exercé ce pouvoir avec génie, et rien n’a pu le lui ôter, car il tenait à la constitution intime de son esprit.

Quincey était de ceux qui sont plus frappés, en toute chose, des différences que des ressemblances. Il existe une autre famille d’esprits pour lesquels c’est l’opposé. Les premiers s’amusent beaucoup plus dans la vie ; ils ont une vision pittoresque du monde qui leur est un perpétuel divertissement. Quincey ne pouvait pas s’expliquer la fortune du mot de l’Ecclésiaste : « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. » Rien ne lui paraissait plus contraire à la vérité. C’est, disait-il, la plainte d’un blasé, qui ne peut pas découvrir des jouissances nouvelles, puisqu’il ne peut plus jouir de rien. « La pénurie dont il gémit comme étant inséparable de la condition humaine n’est pas objective, dans son cas ; elle est subjective… Ce n’est pas le prenable qui est en défaut ; c’est le prenant… La vérité est qu’il n’y a rien de vieux sous le soleil. » De même qu’il n’existe pas deux feuilles pareilles dans toute la terre, il n’existe pas non plus deux actions humaines parfaitement semblables, deux sentiments tout à fait identiques. Objets matériels ou passions, événements ou esprits sont « individualisés » à l’infini par la nature, au moyen d’un fonds inépuisable de variantes, de détails ajoutés ou supprimés, de circonstances extérieures, de nuances dans les idées et les impressions, qui lui permettent de ne jamais se répéter. « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » est un de ces lieux communs faux et menteurs qui courent le monde parce que personne ne prend la peine de les considérer et de les réfuter[1]. »

À partir de 1845, Quincey entremêla ses articles de

  1. Œuvres complètes : Charlemagne (1832), et passim.