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sans sa femme. Elle est trop bête. Ma cuisinière avait fait des commérages, avait été malhonnête, soi-disant par mon ordre. Devait-on la croire, me connaissant ? On la crut, et ce fut le commencement de la brouille ; mais on ne l’aurait pas crue qu’il en eût été exactement de même : on ne peut pas vivre avec Wordsworth. Sa sœur était une charmante personne, qui m’a rendu beaucoup de services. Il est dommage qu’elle soit devenue folle. — Ce que je viens de vous conter vous a peut-être étonnés ? On a tant poétisé l’histoire des lakistes vivant harmonieusement en face de la nature… La vérité vraie, c’est qu’ils étaient tous mal ensemble. » — Quelques lecteurs conclurent de ces articles que Thomas de Quincey était méchant. « Petit misérable ! criait Southey. Il faut le cravacher. » Southey avait tort. Quincey n’était pas méchant. Il n’était qu’intempérant dans son langage, trop communicatif à ses heures et volens nolens, comme le sont les ivrognes ; il disait alors tout haut ce que beaucoup de braves gens, qui ne se croient pas féroces pour cela, pensent tout bas de leurs meilleurs amis.

En tout cas, ses confidences sur le caractère ou les jambes de ses anciens dieux ne l’entraînèrent jamais à se montrer ingrat envers leur génie. Ce n’est pas ici le lieu de refaire l’histoire de l’école romantique anglaise. Il suffira de dire qu’elle a été la glorification des idées de Quincey sur la nécessité de remonter aux sources nationales, de rompre avec le vocabulaire « livresque », d’entrer en communion avec la nature, et de faire en poésie une large part aux sensations. Et Quincey ne demeura point passif dans la grande bataille romantique. Il mit au service des siens tout ce qu’il possédait d’éloquence et d’influence, et fut l’un des artisans de la victoire finale de Coleridge et