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par un « John-bullisme » éhonté, dont il est le premier à plaisanter : « Quand il s’agit de mes compatriotes, qu’ils aient tort ou raison, c’est tout un pour moi. » Son patriotisme n’était jamais si intransigeant qu’en littérature. Il y était injuste avec fureur ou délices, suivant les cas ; mais il avait ses motifs pour devenir, à l’occasion, absurde et de mauvaise foi. Quincey était grand ennemi des influences étrangères en littérature. Il adjurait les écrivains anglais de se retremper exclusivement aux sources nationales. On dirait qu’il pressentait le cosmopolitisme intellectuel de la fin du siècle et qu’il l’avait pris d’avance en horreur, tant il met d’ardeur à combattre les modèles étrangers. L’esprit latin lui était en particulière aversion. Toutes les armes lui sont bonnes contre la France, même le mensonge, pourvu qu’il dégoûte ses compatriotes de nous imiter. Il affirme, lui l’érudit impeccable, que nous n’avons pas eu de littérature au moyen âge, ni exercé la moindre influence, à aucune époque, sur les lettres britanniques ; ceux qui disent le contraire sont bons à enfermer. Comment la France pourrait-elle agir sur les esprits en dehors de ses frontières, elle qui ne possède pas un seul livre ayant modifié d’une façon durable « les modes de penser et d’agir et les méthodes d’éducation » des Français ? Quincey imprimait ces fantaisies patriotiques moins d’un demi-siècle après la mort de Voltaire et de Jean-Jacques[1]. Je dois dire à sa décharge qu’il n’avait pas le sens de la littérature française ; je n’en veux d’autre preuve que la phrase où, à propos de nos prosateurs et sans la moindre malice, il met Florian et Chateau-

  1. Œuvres complètes : John Paul Frederick Richter (1821). — Lord Carlisle on Pope (1851). — The poetry of Pope (1848) ; et passim.