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de plaisir ou de sympathie… Le public a si peu réfléchi aux fonctions supérieures de la littérature, qu’on se ferait accuser de paradoxe en avançant que l’objet de donner des informations n’est pour les livres qu’une pauvre fin, et une fin secondaire… Il y a une chose plus précieuse encore que la vérité : c’est la sympathie profonde pour la vérité… La littérature-force restaure et rafraîchit continuellement l’idéal de celles de nos qualités qui sont les plus précieuses à la face du ciel. Que vous apprend le Paradis perdu ? Rien du tout. Un livre de cuisine ? Quelque chose à chaque ligne. Placerez-vous pour cela ce misérable livre de cuisine au-dessus du divin poème ? Ce que vous devez à Milton n’est pas du savoir, que vous pourriez ensuite multiplier un million de fois sans vous élever d’un échelon au-dessus de la terre. Vous lui devez de la force, c’est-à-dire l’exercice et l’expansion des capacités de sympathie avec l’infini qui sont latentes en vous. Chaque influx de cette force vous soulève au-dessus de la terre. Dès le premier pas, c’est un mouvement ascensionnel[1]. »

Nous possédons en France un exemple de littérature-force que Quincey n’aurait pas admis, parce qu’il n’avait songé qu’aux poètes en formulant sa théorie, et qui n’en est pas moins typique. Les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau ont bouleversé le monde. Ils l’agitent encore : « La révolution française ne fait que commencer », écrivait Quincey en 1845, et, aujourd’hui encore, nous pourrions presque en dire autant.

La littérature-savoir, poursuivait-il, a constamment besoin d’être renouvelée ; c’est un des signes de son infériorité. La littérature-force est éternelle, tout en ayant éprouvé une espèce de brisure, aussi nette que

  1. The poetry of Pope (1848).