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détruites par accident. Des hallucinations de l’ouïe s’étaient jointes à celles de la vue. Il entendait les cris d’agonie des ouragans de victimes emportés furieusement à travers ses rêves, et les profonds soupirs de la pauvre Anne, d’Oxford-Street, dont le visage navré le hantait, lui « brisant le cœur ». Une nouvelle tentative amenait une nouvelle défaite, et l’on s’étonnerait qu’il ait tenu bon, même sous le puissant stimulant de la peur, s’il ne nous avait confié les joies intenses que lui valait, en dépit de tout, chaque nouvelle bataille. Sa forte intelligence secouait aussitôt sa torpeur, en partie du moins. Elle revivait, et le spectre de l’idiotie reculait. Il écrivait à un ami pendant l’un de ces bienheureux réveils : « Je vous jure qu’en ce moment, j’ai plus d’idées en une heure, que je n’en ai dans toute une année sous le règne de l’opium. C’est une véritable inondation. On dirait que toutes les idées qui avaient été gelées depuis dix ans par l’opium ont fondu à la fois, comme les paroles de la légende. Telle est mon impatience, qu’il m’en échappe cinquante, pour une que je réussis à attraper et à fixer sur le papier. » Pouvoir penser, travailler, quand on y avait presque renoncé après de si hautes ambitions, cela vous soutient un homme et le ferait passer à travers le feu.

Ses malheurs venaient aussi à son secours. Il eut un allié efficace, sinon bienvenu, dans la misère installée à son foyer. Quand il eut des dettes partout, plus de crédit et pas un sol, il fallut bien ménager l’opium, bon gré mal gré.

Il finit ainsi, contre toute attente, par remonter cahin-caha une partie de la pente. Pourquoi telle rechute fut moins prompte, telle autre moins profonde, nous l’ignorons. Nous savons seulement qu’en 1821 il avait retrouvé des éclairs de lucidité dont il profita