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peut en mourir ou en perdre la raison : la morphine est méchante et se venge de qui la délaisse. Les livres de médecine contiennent des exemples saisissants des dangers auxquels on s’expose en la bravant. Une femme avait été amenée au Dépôt de la Préfecture de police. On la vit soudain défaillir, et bientôt elle parut expirante d’un mal qui présentait les symptômes du choléra. Une piqûre de morphine la ressuscita : c’était une morphinomane en état d’« abstinence » et de « besoin ». Une autre malheureuse mourut à l’hôpital avec un « soubresaut violent, l’écume aux lèvres », parce qu’on lui avait supprimé la morphine, par degrés, mais trop vite encore. Un jeune médecin qu’on empêchait de se faire une injection « fut pris d’un véritable accès de manie furieuse ». Les accès se renouvelèrent et il en mourut. Des femmes du monde à court d’argent ont volé pour acheter de la morphine. Des hommes qu’on aurait crus fiers se sont prosternés « en vrais suppliants » devant leur médecin pour obtenir du poison. La science a fait à ces malheureux, aux impulsions sauvages et irrésistibles, l’aumône honteuse de la « responsabilité atténuée », leur signifiant par là qu’ils avaient perdu jusqu’aux derniers restes de leur dignité d’homme. « Quand le délit, écrit le docteur Pichon, a été commis dans le dessein immédiat de se procurer de la morphine, l’accusé doit être exonéré. La souffrance est trop forte, on ne peut pas y résister. On ne parvient à se guérir que par une diminution lente et méthodique de la dose, et à travers de telles angoisses, que bien peu vont jusqu’au bout s’ils ne sont en pouvoir de médecin, dans un hospice ou un asile[1]. »

La domination de l’opium n’est pas moins terrible.

  1. Le Morphinisme, par le Dr Pichon.