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même dans Faust. Il a épuré le fantastique en le séparant du merveilleux. Selon la belle expression de Barbey d’Aurevilly, il avait obéi à « une voix qui l’appelait au delà de l’être », mais il a eu soin, au moins dans ses bons jours, de s’arrêter en deçà du surnaturel, à l’extrême bord du possible, sinon du réel. Même dans ces limites, la fascination de l’au-delà, favorable à l’écrivain, n’a pas été sans danger pour l’homme. Ces mondes imaginaires, qui font de si jolis jouets intellectuels, semblent devoir coûter cher à leur créateur, peut-être parce qu’il faut y croire soi-même à moitié, au moins pendant qu’on écrit, pour trouver les accents de sincérité et de conviction auxquels le lecteur se laisse prendre ; et cela n’arrive qu’à condition de rêver tout éveillé. L’écrivain fantastique a besoin d’être un peu visionnaire, et Hoffmann l’était. Quand Heine disait de lui : « Sa poésie est une maladie », ce n’était pas une figure de rhétorique ; il n’ignorait pas qu’Hoffmann, à sa table de travail, avait des hallucinations à être saisi d’épouvante, et qu’il les cherchait, les provoquait, sachant bien que plus il aurait le cauchemar de son sujet et de ses personnages, plus son récit s’illuminerait des apparences de la vie et de la réalité.

Ce n’est jamais par des moyens inoffensifs qu’on appelle à soi les hallucinations. Hoffmann, et d’autres avec lui, ont eu recours aux poisons de l’intelligence pour voir ce que ne voient pas les cerveaux parfaitement sains. Les excitants ne leur manquaient point. Ils n’avaient que l’embarras du choix et, selon qu’ils avaient préféré l’un ou l’autre poison, leur œuvre littéraire prenait des teintes différentes. Le fantastique inspiré par le vin n’est pas le même que celui de l’opium, et il y a des nuances poétiques qui relèvent de la pathologie. Hoffmann va nous en fournir un premier exemple.