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en peine que de saisir ses rêves au vol et de les fixer tels quels sur le papier. Nous devons à cet affranchissement de toute règle un rêve historique qui est la seule pièce shakespearienne de notre théâtre, et une demi-douzaine d’adorables songeries sur l’amour dans lesquelles « la mélancolie, disait Théophile Gautier, cause avec la gaieté ».

L’idée de Lorenzaccio germa dans l’esprit de Musset durant les heures rapides passées à Florence avec George Sand, tout à la fin de 1833. La noble cité avait encore la farouche ceinture de murailles crénelées dont l’avait entourée au XIVe siècle le gouvernement républicain, et qu’on a démolie de nos jours pour élargir la capitale éphémère du jeune royaume italien. Elle avait conservé dans toute son âpreté cet aspect sombre et dur qui contraste si étrangement avec les lignes pures et souples de ses riantes collines, et qui en fait le plus étonnant exemple de ce que peut le génie de l’homme pour s’affranchir de la tyrannie de la nature. Les quartiers populaires, que de larges percées n’avaient pas encore ouverts à la lumière, enchevêtraient leurs rues étroites et tortueuses, favorables à l’émeute et aux guets-apens, autour des palais-forteresses des Strozzi et des Riccardi. La ville tout entière, pour qui sait comprendre ce que racontent les pierres, servait d’illustration et de commentaire aux vieilles chroniques florentines. Musset profita de la leçon, et trouva en feuilletant ces chroniques le sujet de son drame : le meurtre d’Alexandre de Médicis, tyran de