Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/102

Cette page n’a pas encore été corrigée

venons de le voir. Pendant deux ans il n’écrivit plus, en vers du moins.

Durant ce long silence, le poète et l’homme s’étaient transformés. L’homme mûri par la douleur n’avait presque plus rien du bel adolescent qui avait séduit et charmé les poètes du Cénacle, de l’apparition juvénile et rayonnante dont Sainte-Beuve avait conservé un si vif et éblouissant souvenir. « Il y a vingt-neuf ans de cela, écrivait Sainte-Beuve en 1857, au lendemain de la mort de Musset ; je le vois encore faire son entrée dans le monde littéraire, d’abord dans le cercle intime de Victor Hugo, puis dans celui d’Alfred de Vigny, des frères Deschamps. Quel début ! quelle bonne grâce aisée ! et dès les premiers vers qu’il récitait, son Andalouse, son Don Paez, et sa Juana, que de surprise et quel ravissement il excitait alentour ! C’était le printemps même, tout un printemps de poésie qui éclatait à nos yeux. Il n’avait pas dix-huit ans : le front mâle et fier, la joue en fleur et qui gardait encore les roses de l’enfance, la narine enflée du souffle du désir, il s’avançait le talon sonnant et l’œil au ciel, comme assuré de sa conquête et tout plein de l’orgueil de la vie. Nul, au premier aspect, ne donnait mieux l’idée du génie adolescent. »

Au jeune triomphateur si merveilleusement évoqué par Sainte-Beuve avait succédé un homme froid et hautain, qui ne se livrait qu’à bon escient. L’amie dévouée qu’il appelait sa marraine, Mme Jaubert, lui reprochait en vain ses airs farouches