Page:Bardoux - Guizot, 1894.djvu/202

Cette page n’a pas encore été corrigée
190
GUIZOT.

Ce fut surtout (il nous en souvient encore) à la réception du Père Lacordaire que Guizot fournit la mesure de sa maîtrise oratoire. Il faut convenir que l’antithèse était piquante : d’un coté, un dominicain, prononçant l’éloge de M. de Tocqueville, c’est-à-dire de la démocratie américaine dans son expansion illimitée ; et en face, un calviniste, le plus éloquent organe de la liberté réglée. La réponse de Guizot fut d’un orateur consommé. Il commença par se demander ce qu’un hérétique comme lui et un fils de saint Dominique comme le récipiendaire auraient eu à se dire, il y a six siècles, s’ils s’étaient rencontrés face à face dans la guerre des Albigeois, et il ne manqua pas de rendre un solennel hommage à la civilisation moderne et à la société française sortie de la Révolution. C’était bien débuter. Le parallèle, tout à fait académique, fut ensuite le prétexte pour Guizot de vues aussi ingénieuses que piquantes ; mais il déborda bientôt le cadre, et, se reportant aux années de ses luttes parlementaires, il fit revivre sous les yeux de ses auditeurs émus et charmés les années où il régnait, par l’éclat de son talent prestigieux, sur une assemblée qui croyait que l’éloquence suffisait pour gouverner la France.

Mais comment limiter le domaine où se jouait cet orateur incomparable ? L’Académie des sciences morales, aussi bien que l’Académie française, ne l’a-t-elle pas entendu dans toutes les discussions qui intéressaient son esprit vaste et actif, passionné et n’étant indifférent à rien, portant dans tous les sujets