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soleil, cette femme couronnée d’or. La blancheur lunaire de sa peau appelle et étonne le regard. Ses yeux scintillent ; ses dents, aussi, étincellent dans la vive blessure de sa bouche entrouverte, rouge comme le cœur.

— Dites-moi… J’vais vous dire… halète Lamuse. Vous me plaisez tant…

Il avance le bras vers la précieuse passante immobile.

Elle a un haut-le-corps, et lui répond :

— Laissez-moi tranquille, vous me dégoûtez !

La main de l’homme se jette sur une des petites mains. Elle essaie de la retirer et la secoue pour se dégager. Ses cheveux d’une intense blondeur se défont, et remuent comme des flammes. Il l’attire à lui. Il tend le cou vers elle, et ses lèvres aussi se tendent en avant. Il veut l’embrasser. Il le veut de toute sa force, de toute sa vie. Il mourrait pour la toucher avec sa bouche.

Mais elle se débat, elle jette un cri étouffé ; on voit palpiter son cou, sa jolie figure s’enlaidir haineusement.

Je m’approche et mets la main sur l’épaule de mon compagnon, mais mon intervention est inutile : il recule et gronde, vaincu.

— Vous n’êtes pas malade, des fois ! lui crie Eudoxie.

— Non !… gémit le malheureux, déconcerté, atterré, affolé.

— N’y revenez pas, vous savez ! dit-elle.

Et elle s’en va, toute pantelante, et il ne la regarde même pas s’en aller : il reste les bras ballants, béant devant la place où elle était, martyrisé, dans sa chair, réveillé d’elle et ne sachant plus de prière.

Je l’entraîne. Il me suit, muet, tumultueux, en reniflant, essoufflé comme s’il avait fui pendant longtemps.

Il baisse le bloc de sa grosse tête. Dans la clarté impitoyable de l’éternel printemps, il est pareil au pauvre cyclope, qui rôdait sur les antiques rivages de Sicile, bafoué et dompté par la force lumineuse d’une enfant, tel un jouet monstrueux, au commencement des âges.

Le marchand de vin ambulant, poussant sa brouette