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dants, sont venus ici de tous les points de la terre, frappés du même malheur, ont perdu l’habitude de parler. Ils sont repliés sur eux-mêmes, et pensent à leur vie et à leur mort.


Une servante paraît sur la galerie ; elle marche doucement et est habillée de blanc. Elle apporte des journaux, les distribue.

— C’est chose faite, dit celui qui a déployé le premier son journal, la guerre est déclarée.

Si attendue qu’elle soit, la nouvelle cause une sorte d’éblouissement, car les assistants en sentent les proportions démesurées.

Ces hommes intelligents et instruits, approfondis par la souffrance et la réflexion, détachés des choses et presque de la vie, aussi éloignés du reste du genre humain que s’ils étaient déjà la postérité, regardent au loin, devant eux, vers le pays incompréhensible des vivants et des fous.

— C’est un crime que commet l’Autriche, dit l’Autrichien.

— Il faut que la France soit victorieuse, dit l’Anglais.

— J’espère que l’Allemagne sera vaincue, dit l’Allemand.



Ils se réinstallent sous les couvertures, sur l’oreiller, en face des sommets et du ciel. Mais, malgré la pureté de l’espace, le silence est plein de la révélation qui vient d’être apportée.

— La guerre !

Quelques-uns de ceux qui sont couchés là rompent le silence, et répètent à mi-voix ces mots, et réfléchissent que c’est le plus grand événement des temps modernes et peut-être de tous les temps.

Et même cette annonciation crée sur le paysage limpide qu’ils fixent, comme un confus et ténébreux mirage.

Les étendues calmes du vallon orné de villages roses comme des roses et de pâturages veloutés, les taches magnifiques des montagnes, la dentelle noire des sapins et la den-