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Barque saisit la balle au bond.

— Ça ira, p’t’êt’ ben. On pourrait voir ?

— On y fait la lessive, marmonne la femme en continuant de balayer.

— Vous savez, dit Barque en souriant, d’un air engageant, nous n’sommes pas d’ces gens pas convenables qui s’soûlent et font du foin. On pourrait voir, hé ?

La bonne femme a lâché son balai. Elle est maigre et sans relief. Son caraco pend sur ses épaules comme sur un porte-manteau. Elle a une tête inexpressive, figée, cartonnière. Elle nous regarde, hésite, puis, à contre-cœur, nous conduit dans un local très sombre, en terre battue, encombré de linge sale.

— C’est magnifique, s’écrie Lamuse, sincère.

— Est-elle mignonne, cette tite gosse ! dit Barque, et il tapote la joue ronde, en caoutchouc peint, d’une petite fille qui nous dévisage, son petit nez sale levé dans la pénombre. C’est à vous, madame ?

— Et c’ui-là ? risque Marthereau, en avisant un bébé monté en graine, à la joue tendue comme une vessie où des traces luisantes de confiture engluent la poussière de l’air.

Et Marthereau tend une caresse hésitante vers cette face peinturlurée et juteuse.

La femme ne daigne pas répondre.

Nous sommes là à nous dandiner, en ricanant, comme des mendiants non encore exaucés.

— Pourvu qu’al’ marche, c’te vieille saloperie ! me souffle Lamuse, rongé d’appréhension et de désir. C’est épatant, ici, et tu sais, ailleurs, tout est poiré !

— Y a pas d’table, dit enfin cette femme.

— N’vous en faites pas pour la table ! s’exclame Barque. Tenez, v’là, remisée dans c’ coin, une vieille porte. Elle nous servira de table.

— Vous n’allez pas m’trimbaler et m’mettre en l’air toutes mes affaires ! répond la femme en carton, méfiante, regrettant visiblement de ne pas nous avoir chassés tout de suite.