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arrêt, et, attiré, il prit son élan. Mais, en se jetant vers elle, il tomba sur nous.

En reconnaissant Volpatte et Fouillade, le gros Lamuse poussa des exclamations de joie. Il ne songea plus sur le moment qu’à s’emparer des sacs, des fusils, des musettes.

— Donnez-moi tout ça ! J’suis r’posé. Allons, donnez ça !

Il voulut tout porter. Farfadet et moi nous nous débarrassâmes volontiers du fourbi de Volpatte, et Fouillade consentit, à bout de forces, à abandonner ses musettes et son fusil.

Lamuse devint un amoncellement ambulant. Sous le faix énorme et encombrant, il disparaissait, plié, et n’avançait qu’à petits pas.

Mais on le sentait sous l’empire d’une idée fixe et il jetait des regards de côté. Il cherchait la femme vers laquelle il s’était lancé.

Chaque fois qu’il s’arrêtait pour arrimer mieux un bagage, pour souffler et essuyer l’eau grasse de sa transpiration, il examinait furtivement tous les coins de l’horizon et scrutait la lisière du bois. Il ne la revit pas.

Moi, je la revis… Et j’eus bien cette fois l’impression que c’était à l’un de nous qu’elle en avait.

Elle surgissait à demi, là-bas, à gauche, de l’ombre verte du sous-bois. Se retenant d’une main à une branche, elle se penchait et présentait ses yeux de nuit et sa face pâle qui, vivement éclairée par tout un côté, semblait porter un croissant de lune. Je vis qu’elle souriait.

Et suivant la direction de son regard qui se donnait ainsi, j’aperçus, un peu en arrière de nous, Farfadet qui souriait pareillement…

Puis elle se déroba dans l’ombre des feuillages, emportant visiblement ce double sourire…

C’est ainsi que j’eus la révélation de l’entente de cette Bohémienne souple et délicate, qui ne ressemblait à personne, et de Farfadet qui, parmi nous tous se distinguait, fin, flexible et frissonnant comme un lilas. Évidemment…