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les journaux, mais fais donc comme moi : y pense pas !

— Oui, oui, en v’là marre ! Tourne la page, nez d’âne !

La conversation se tronçonne, l’attention se fragmente, se disperse. Quatre bonshommes se conjuguent pour une manille qui durera jusqu’à ce que le soir efface les cartes. Volpatte fait des efforts pour capturer une feuille de papier à cigarette qui a fui de ses doigts et qui sautille et zigzague au vent sur la paroi de la tranchée comme un papillon fugace.

Cocon et Tirette évoquent des souvenirs de caserne. Les années de service militaire ont laissé dans les esprits une impression indélébile ; c’est un fonds de souvenirs riches, bon teint et toujours prêts, où l’on a l’habitude depuis dix, quinze ou vingt ans, de puiser des sujets de conversation… Si bien qu’on continue, même après avoir fait pendant un an et demi la guerre sous toutes ses formes.

J’entends en partie le colloque, j’en devine le reste. C’est, d’ailleurs, sempiternellement le même genre d’anecdotes que les ex-troupiers sortent de leur passé militaire : le narrateur a cloué le bec à un gradé mal intentionné, par des paroles pleines d’à-propos et de crânerie. Il a osé, il a parlé haut et fort, lui !… Des bribes me parviennent aux oreilles :

— … Alors, tu crois que j’ai bronché quand Nenœil m’a eu cassé ça ? Pas du tout, mon vieux. Tous les copains la fermaient ; mais moi, j’y ai dit tout haut : « Mon adjudant, qu’j’ai dit, c’est possible, mais… » (suit une phrase que je n’ai point retenue)… Oh ! tu sais, tel que ça, j’y ai dit. I’ n’a pas pipé. « C’est bon, c’est bon », qu’il a dit en foutant le camp, et après, il a été bath comme tout avec moi.

— C’est comme moi avec Dodore, l’juteux de la 13e quand j’faisais mon congé. Une carne. Main’nant, il est au Panthéon, comme gardien. I’ m’avait dans l’nez. Alors…