Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Il est mort. Une marmite est tombée dans sa marmite. Il n’a rien eu, mais il est tout de même mort d’saisissement quand il a vu son macaroni les jambes en l’air ; un spasme du cœur, qu’a dit le toubi. Il avait l’cœur faible ; i’ n’était fort que pour trouver du bois. On l’a enterré proprement. On lui a fait un cercueil avec le parquet d’une chambre ; on a ajusté ensemble les planches avec les clous des tableaux de la maison, et on se servait de briques pour les enfoncer. Pendant qu’on l’transportait, je m’disais : « Heureusement pour lui, qu’il est mort : s’i’ voyait ça, i’ pourrait jamais s’consoler d’avoir pas pensé aux planches du parquet pour son feu. » Ah ! l’sacré numéro, l’enfant de cochon !

— L’troufion se démerde bien sur le dos du copain. Quand tu filoches devant une corvée ou qu’tu prends l’bon morceau ou la bonne place, c’est les autres qui écopent, philosopha Volpatte.

— Moi, dit Lamuse, je m’suis souvent démerdé pour ne pas monter aux tranchées, et j’compte pas les fois qu’j’y ai coupé. Ça, je l’avoue. Mais, quand des copains sont en danger, j’suis pus chercheur de filon, j’suis pus démerdard. J’oublie mon uniforme, j’oublie tout. J’vois des hommes et j’marche. Mais, autrement, mon vieux, j’pense à bibi.

Les affirmations de Lamuse ne sont pas de vains mots. C’est un virtuose du tirage au flanc, en effet ; néanmoins, il a sauvé la vie à des blessés en allant les chercher sous la fusillade.

Il explique le fait sans forfanterie :

— On était couchés tous dans l’herbe. Ça buquait. Pan ! pan ! Zim, zim… Quand j’les ai vus attigés, je me suis levé — malgré qu’on m’gueulait : « Couche-toi ! » J’pouvais pas les laisser comme ça. J’n’ai pas d’mérite, pisque je n’pouvais pas faire autrement.

Presque tous les gars de l’escouade ont quelque haut fait militaire à leur actif et, successivement, les croix de guerre se sont alignées sur leurs poitrines.