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comme un dogue : « Mon ami, t’as été un héros admirable ! » J’veux pas qu’on m’dise ça !

» Des héros, des espèces de gens extraordinaires, des idoles ? Allons donc ! On a été des bourreaux. On a fait honnêtement le métier de bourreaux. On le r’fera encore, à tour de bras, parce qu’il est grand et important de faire ce métier-là pour punir la guerre et l’étouffer. Le geste de tuerie est toujours ignoble – quelquefois nécessaire, mais toujours ignoble. Oui, de durs et infatigables bourreaux, voilà ce qu’on a été. Mais qu’on ne me parle pas de la vertu militaire parce que j’ai tué des Allemands. »

— Ni à moi, cria un autre à voix si haute que personne n’aurait pu lui répondre, même si on avait osé, ni à moi, parce que j’ai sauvé la vie à des Français ! Alors, quoi, ayons le culte des incendies à cause de la beauté des sauvetages !

— Ce serait un crime de montrer les beaux côtés de la guerre, murmura un des sombres soldats, même s’il y en avait !

— On t’dira ça, continua le premier, pour te payer en gloire, et pour se payer aussi de c’qu’on n’a pas fait. Mais la gloire militaire, ce n’est même pas vrai pour nous autres, simples soldats. Elle est pour quelques-uns, mais en dehors de ces élus, la gloire du soldat est un mensonge comme tout ce qui a l’air d’être beau dans la guerre. En réalité, le sacrifice des soldats est une suppression obscure. Ceux dont la multitude forme les vagues d’assaut n’ont pas de récompense. Ils courent se jeter dans un effroyable néant de gloire. On ne pourra jamais accumuler même leurs noms, leurs pauvres petits noms de rien.

— Nous nous en foutons, répondit un homme. Nous avons aut’chose à penser.

— Mais tout cela, hoqueta une face barbouillée et que la boue cachait comme une main hideuse, peux-tu seulement le dire ? Tu serais maudit et mis sur le bûcher ! Ils ont créé autour du panache une religion aussi méchante, aussi bête et aussi malfaisante que l’autre !