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tice qui est la même chose, exactement, que l’intérêt général.

Ces hommes du peuple qui sont là, entrevoyant ils ne savent encore quelle Révolution plus grande que l’autre, et dont ils sont la source, et qui déjà monte, monte à leur gorge, répètent :

— L’égalité !…

Il semble qu’ils épèlent ce mot, puis qu’ils le lisent clairement partout – et qu’il n’est pas sur la terre de préjugé, de privilège et d’injustice qui ne s’écroule à son contact. C’est une réponse à tout, un mot sublime. Ils tournent et retournent cette notion et lui trouvent une sorte de perfection. Et ils voient les abus brûler d’une éclatante lumière.

— Ce s’rait beau ! dit l’un.

— Trop beau pour être vrai ! dit l’autre.

Mais le troisième dit :

— C’est parce que c’est vrai que c’est beau. Ça n’a pas d’autre beauté : alors !… Et ce n’est pas parce que c’est beau que ça sera. La beauté n’a pas cours, pas plus que l’amour. C’est parce que c’est vrai que c’est fatal.

— Alors, puisque la justice est voulue par les peuples et que les peuples sont la force, qu’ils la fassent.

— On commence déjà ! dit une bouche obscure.

— C’est sur la pente des choses, annonça un autre.

— Quand tous les hommes se seront faits égaux, on sera bien forcé de s’unir.

— Et il n’y aura pas, à la face du ciel, des choses épouvantables faites par trente millions d’hommes qui ne les veulent pas.

C’est vrai. Il n’y a rien à dire contre cela. Quel semblant d’argument, quel fantôme de réponse pourrait-on, oserait-on opposer à cela : « Il n’y aura pas, à la face du ciel, des choses faites par trente millions d’hommes qui ne les veulent pas. » J’écoute, je suis la logique des paroles que profèrent ces pauvres gens jetés sur ce champ de douleur, les paroles qui jaillissent de leur meurtris-