— Au commencement, dit Tirette, j’pensais à un tas d’choses, j’réfléchissais, j’calculais ; maintenant, j’pense plus.
— Moi non plus.
— Moi non plus.
— Moi, j’ai jamais essayé.
— T’es pas si bête que t’en as l’air, bec de puce, dit Mesnil André de sa voix aiguë et gouailleuse.
L’autre, obscurément flatté, complète son idée :
— D’abord, tu peux rien savoir de rien.
— On n’a besoin de savoir qu’une chose, et cette seule chose, c’est que les Boches sont chez nous, enracinés, et qu’il ne faut pas qu’ils passent et qu’il faut même qu’ils les mettent un jour ou l’autre — le plus tôt possible, dit le caporal Bertrand.
— Oui, oui, faut qu’ils en jouent un air : y a pas d’erreur ; autrement, quoi ? C’est pas la peine de se fatiguer le ciboulot à penser à aut’ chose. Seul’ment, c’est long.
— Ah ! bougre de bagasse ! exclame Fouillade, eunn peu !
— Moi, dit Barque, je ne rouspète plus. Au commencement, je rouspétais contre tout le monde, contre ceux de l’arrière, contre les civils, contre l’habitant, contre les embusqués. Oui, j’rouspétais, mais c’était au commencement de la guerre, j’étais jeune. Maint’nant, j’prends mieux les choses.
— Y a qu’une façon de les prendre : comme elles viennent !
— Pardi ! Autrement tu deviendrais fou. On est déjà assez dingo comme ça, pas, Firmin ?
Volpatte fait oui de la tête, profondément convaincu, crache, puis contemple son crachat d’un œil fixe et absorbé.
— Tu parles, appuie Barque.
— Ici, faut pas chercher loin devant toi. Faut vivre au jour le jour, heure par heure même, si tu peux.
— Pour sûr, face de noix. Faut faire ce qu’on nous