ment, se ressemblent comme s’ils étaient nus. De cette nuit épouvantable il sort d’un côté ou d’un autre quelques revenants revêtus exactement du même uniforme de misère et d’ordure.
C’est la fin de tout. C’est, pendant un moment, l’arrêt immense, la cessation épique de la guerre.
À une époque, je croyais que le pire enfer de la guerre ce sont les flammes des obus, puis j’ai pensé longtemps que c’était l’étouffement des souterrains qui se rétrécissent éternellement sur nous. Mais non, l’enfer, c’est l’eau.
Le vent s’élève. Il est glacé et son souffle glacé passe au travers de nos chairs. Sur la plaine déliquescente et naufragée, mouchetée de corps entre ses gouffres d’eau vermiculaires, entre ses îlots d’hommes immobiles agglutinés ensemble comme des reptiles, sur ce chaos qui s’aplatit et sombre, de légères ondulations de mouvements se dessinent. On voit se déplacer lentement des bandes, des tronçons de caravanes composées d’êtres qui plient sous le poids de leurs casaques et de leurs tabliers de boue, et se traînent, se dispersent et grouillent au fond du reflet obscurci du ciel. L’aube est si sale qu’on dirait que le jour est déjà fini.
Ces survivants émigrent à travers cette steppe désolée, chassés par un grand malheur indicible qui les exténue et les effare — lamentables, et quelques-uns sont dramatiquement grotesques lorsqu’ils se précisent, à demi déshabillés par l’enlisement dont ils se sauvent encore.
En passant, ils jettent les yeux autour d’eux, nous contemplent, puis retrouvent en nous des hommes, et nous disent dans le vent :
— Là-bas, c’est pire qu’ici. Les bonhommes tombent dans les trous et on n’peut pas les retirer. Tous ceux qui, pendant la nuit, ont mis pied sur le bord d’un trou d’obus, sont morts… Là-bas, d’où qu’on vient, tu vois par terre une tête qui r’mue les bras, scellée ; il y a un chemin de