On était à genoux, à quatre pattes ; on se poussait du côté de la retraite.
— Avancez ! Allons, avancez !
Mais la longue file resta inerte. Les plaintes frénétiques des crieurs ne la déplaçaient pas. Ceux qui étaient, là-bas, au bout, ne bougeaient pas et leur immobilité bloquait la masse.
Des blessés passèrent par-dessus les autres, rampant sur eux comme sur des débris, et ces blessés ont arrosé toute la compagnie de leur sang.
On apprit enfin la cause de l’affolante immobilité de la queue du détachement :
— Y a un barrage au bout.
Une étrange panique emprisonnée, aux cris inarticulés, aux gestes murés, s’empara des hommes qui étaient là. Ils se débattaient sur place et clamaient. Mais, si petit que fût l’abri du fossé ébauché, personne n’osait sortir de ce creux qui nous empêchait de dépasser le niveau du sol, pour fuir la mort vers la tranchée transversale qui devait être là-bas… Les blessés auxquels il était permis de ramper par-dessus les vivants risquaient singulièrement en le faisant et à tout instant étaient frappés et retombaient au fond.
C’était vraiment une pluie de feu qui s’abattait partout, mêlée à la pluie. De la nuque aux talons on vibrait, mêlés profondément aux vacarmes surnaturels. La plus hideuse des morts descendait et sautait et plongeait tout autour de nous dans des flots de lumière. Son éclat soulevait et arrachait l’attention dans tous les sens. La chair s’apprêtait au monstrueux sacrifice !… L’émotion qui nous annihilait était si forte qu’en ce moment seulement on s’est souvenu qu’on avait déjà parfois éprouvé cela, subi ce déversement de mitraille avec sa brûlure hurlante et sa puanteur. Ce n’est que pendant un bombardement qu’on se rappelle vraiment ceux qu’on a supportés déjà.
Et, sans arrêt, rampaient de nouveaux blessés fuyant