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vidât les lieux pour ne pas être aperçue, repérée et détruite avec son ouvrage.

On murmure :

— Oui, oui, ça va… C’est pas la peine de nous la faire. Économise.

Mais – sauf quelques dormeurs invincibles qui tout à l’heure seront obligés de travailler surhumainement – tout le monde se met à l’œuvre avec courage.

On attaque la première couche de la ligne nouvelle : des mottes de terre filandreuses d’herbes. La facilité et la rapidité avec lesquelles s’entame le travail – comme tous les travaux de terrassement en pleine terre – donnent l’illusion qu’il sera vite terminé, qu’on pourra dormir dans son trou, et cela ravive une certaine ardeur.

Mais soit à cause du bruit des pelles, soit parce que quelques-uns, malgré les objurgations, bavardent presque haut, notre agitation éveille une fusée, qui grince verticalement sur notre droite avec sa ligne enflammée.

— Couchez-vous !

Tout le monde s’abat, et la fusée balance et promène son immense pâleur sur une sorte de champ de morts.

Lorsqu’elle est éteinte, on entend, çà et là, puis partout, les hommes se dégager de l’immobilité qui les cachait, se relever, et se remettre au travail avec plus de sagesse.

Bientôt, une autre fusée lance sa longue tige dorée, couche et immobilise encore lumineusement la ligne obscure des faiseurs de tranchées. Puis une autre, puis une autre.

Des balles déchirent l’air autour de nous. On entend crier :

— Un blessé !

Il passe soutenu par des camarades ; il semble même qu’il y a plusieurs blessés. On entrevoit ce paquet d’hommes qui se traînent l’un l’autre, et s’en vont.

L’endroit devient mauvais. On se baisse, on s’accroupit. Quelques-uns grattent la terre à genoux. D’autres