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— Appuyez encore de trois pas… C’est trop. Un pas en arrière. Allons, un pas en arrière, êtes-vous sourds ?… Halte !… Là !…

Cette mise au point est conduite par le lieutenant et un gradé du génie surgi de terre. Ensemble ou séparément, ils se démènent, courent le long de la file, crient leurs commandements à voix basse dans la figure des hommes qu’ils prennent par le bras, parfois, pour les guider. L’opération, commencée avec ordre, dégénère, en raison de la mauvaise humeur des hommes épuisés qui ont continuellement à se déraciner du point où ils sont affalés, en houleuse cohue.

— On est en avant des premières lignes, dit-on tout bas autour de moi.

— Non, murmurent d’autres voix, on est juste derrière.

On ne sait pas. La pluie tombe toujours, moins fort cependant qu’à certains moments de la marche. Mais qu’importe la pluie ! On s’est étalés par terre. On est si bien, les reins et les membres posés sur la boue moelleuse, qu’on reste indifférents à l’eau qui nous pique la figure, nous passe sur la peau, et au lit spongieux qui nous tient.

Mais c’est à peine si on a le temps de souffler. On ne nous laisse pas imprudemment nous ensevelir dans le repos. Il faut se mettre au travail d’arrache-pied. Il est deux heures du matin : dans quatre heures il fera trop clair pour qu’on puisse rester ici. Il n’y a pas une minute à perdre.

— Chaque homme, nous dit-on, a à creuser 1m,50 de longueur sur 0m,70 de largeur et 0m,80 de profondeur. Chaque équipe a donc ses 4m,50. Et mettez-en un coup, je vous le conseille : plus tôt ce sera fini, plus tôt vous vous en irez.

On connaît le boniment. Il n’y a pas d’exemple dans les annales du régiment qu’une corvée de terrassement soit partie avant l’heure où il fallait nécessairement qu’elle