Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/316

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Deux coloniaux, durs et maigres, qui se soutenaient comme deux ivrognes, arrivèrent, butèrent contre nous, et reculèrent, cherchant par terre une place où tomber.

— Ma vieille, achevait de raconter l’un, d’un organe enroué, dans c’boyau que j’te dis, on est resté trois jours sans ravitaillement, trois jours pleins sans rien, rien. Que veux-tu, on buvait son urine, mais c’était pas ça.

L’autre, en réponse, expliqua qu’autrefois il avait eu le choléra :

— Ah ! c’est une sale affaire, ça : de la fièvre, des vomissements, des coliques : mon vieux, j’en étais malade !

— Mais aussi, gronda tout d’un coup l’aviateur qui s’acharnait à poursuivre le mot de la gigantesque énigme, à quoi pense-t-il, ce Dieu, de laisser croire comme ça qu’il est avec tout le monde ? Pourquoi nous laisse-t-il tous, tous, crier côte à côte comme des dératés et des brutes : « Dieu est avec nous ! » « Non, pas du tout, vous faites erreur, Dieu est avec nous ! »

Un gémissement s’éleva d’un brancard, et pendant un instant voleta tout seul dans le silence, comme si c’était une réponse.

— Moi, dit alors une voix de douleur, je ne crois pas en Dieu. Je sais qu’il n’existe pas – à cause de la souffrance. On pourra nous raconter les boniments qu’on voudra, et ajuster là-dessus tous les mots qu’on trouvera, et qu’on inventera : toute cette souffrance innocente qui sortirait d’un Dieu parfait, c’est un sacré bourrage de crâne.

— Moi, reprend un autre des hommes du banc, je ne crois pas en Dieu, à cause du froid. J’ai vu des hommes dev’nir des cadavres p’tit à p’tit, simplement par le froid. S’il y avait un Dieu de bonté, il y aurait pas le froid. Y a pas à sortir de là.