l’arrière sur le Poste de Secours plus vaste aménagé dans la tranchée de la route de Béthune.
Dans ce creux étroit que dessine le croisement des fossés, comme au fond d’une espèce de cour des miracles, nous avons attendu deux heures, ballottés, serrés, étouffés, aveuglés, nous montant les uns sur les autres comme du bétail, dans une odeur de sang et de viande de boucherie. Des faces s’altèrent, se creusent, de minute en minute. Un des patients ne peut plus retenir ses larmes, les lâche à flots, et, secouant la tête, en arrose ses voisins. Un autre, qui saigne comme une fontaine, crie : « Eh là ! attention à moi ! ». Un jeune, les yeux allumés, lève les bras et hurle d’un air de damné : « J’brûle ! » et il gronde et souffle comme un bûcher.
Joseph est pansé. Il se fraye un passage jusqu’à moi et me tend la main.
— Ce n’est pas grave, paraît-il ; adieu, me dit-il.
Nous sommes tout de suite séparés par la cohue. Le dernier regard que je lui jette me le montre, la figure défaite, mais absorbé par son mal, distrait, se laissant conduire par un brancardier divisionnaire qui a posé sa main sur son épaule. Soudain, je ne le vois plus.
À la guerre, la vie, comme la mort, vous sépare sans même qu’on ait le temps d’y penser.
On me dit de ne pas rester là, de descendre dans le Poste de Secours pour me reposer avant de repartir.
Il y a deux entrées, très basses, très étroites, à ras du sol. À celle-ci affleure la bouche d’une galerie en pente, étroite comme une conduite d’égout. Pour pénétrer dans le poste, il faut d’abord se retourner et s’engager à reculons en pliant le corps dans ce tube rétréci où le pied sent se dessiner des marches : tous les trois pas, une marche haute.
Quand on est entré là-dedans, on est comme pris, et