Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dur, i’ t’collent en fait d’bidoche, qué’qu’chose de mou : d’l’éponge qui n’a point d’goût, du cataplasme. Quand tu croûtes ça, c’est comme si tu boives un quart d’eau, ni plus ni moins.

— Tout ça, dit Lamuse, ça n’a pas d’consistance, ça n’tient pas au bide. Tu crois qu’t’es rempli, mais au fond d’ta caisse, t’es vide. Aussi, p’tit à p’tit, tu tournes de l’œil, empoisonné par le manque de nourriture.

— La prochaine fois, clame Biquet exaspéré, j’demande à parler au vieux, j’y dirai : « Mon capitaine… »

— Moi, dit Barque, je m’fais porter pâle. J’y dirai : « Monsieur le major… »

— C’que tu y casseras ou rien, c’est du pareil au même. Ils s’entendent tous pour exploiter l’troufion.

— J’te dis, moi, qui veul’tent not’ peau !

— C’est comme la gniole. On a droit qu’on nous en distribue aux tranchées — vu qu’ça a été voté qué’q’part, j’sais pas quand, ni où, mais je l’sais — et d’puis trois jours qu’on est ici, v’là trois jours qu’on nous en sert au bout d’une fourche.

— Ah, malheur !

— V’là la bectance ! annonce un poilu qui guettait au tournant.

— I’ n’est qu’temps !

Et l’orage des récriminations violentes tombe net, comme par enchantement. Et on voit leur fureur se changer, subitement, en satisfaction.

Trois hommes de corvée, essoufflés, la face larmoyante de sueur, déposent par terre des bouteillons, un bidon à pétrole, deux seaux de toile et une brochette de boules traversées par un bâton. Adossés au mur de la tranchée, ils s’essuient la figure avec leurs mouchoirs ou leurs manches. Et je vois Cocon s’approcher de Pépère, avec le sourire, et, oublieux des outrages dont il a couvert sa réputation, tendre la main, cordialement, vers un des