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encore. Il laisse tomber ses bras, hoche sa tête lassée – et la lumière légère jette sur la cloison l’ombre de ce double geste, en fait une brusque caricature.

— Ah ! dit mon humble compagnon, nous sommes tous des pas mauvais types, et aussi, des malheureux et des pauv’ diables. Mais nous sommes trop bêtes, nous sommes trop bêtes !

Il tourne à nouveau son regard sur moi. Dans sa face toute plantée de poils, dans sa face de barbet, on voit luire deux beaux yeux de chien qui s’étonne, songe, très confusément encore, à des choses, et qui, dans la pureté de son obscurité, se met à comprendre.

On sort de l’abri inhabitable. Le temps s’est un peu adouci : la neige a fondu et tout s’est resali.

— L’vent a léché l’sucre, dit Marthereau.

Je suis désigné pour accompagner Joseph Mesnil au Poste de Secours des Pylônes. Le sergent Henriot me donne livraison du blessé et me remet le billet d’évacuation.

— Si vous rencontrez Bertrand en route, nous dit Henriot, faudrait voir d’avoir à y dire de s’grouiller, hé ? Bertrand est parti en liaison cette nuit et on l’attend depuis une heure – même que l’vieux s’impatiente et parle de s’foutre en colère d’un moment à l’autre.

Je m’achemine avec Joseph qui, un peu plus pâle que de coutume et toujours taciturne, marche tout doucement. De temps en temps, on le voit s’arrêter, la figure crispée. Nous suivons les boyaux.

Un bonhomme paraît tout d’un coup. C’est Volpatte, qui dit :

— J’vais aller avec vous jusqu’au bas de la côte.

Désœuvré, il manie une magnifique canne torse et secoue dans sa main comme des castagnettes la précieuse paire de ciseaux qui ne le quitte jamais.