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nous allumâmes un petit bout de bougie qui résistait, mouillé, bien qu’on le couvât des mains. Et nous nous regardâmes bâiller.

L’abri allemand comprenait plusieurs compartiments. Nous étions contre une cloison de planches mal ajustées et, de l’autre côté, dans la cave no 2, des hommes veillaient aussi : on voyait de la lumière filtrer dans les interstices des planches, et on entendait des voix bruisser.

— C’est de l’autre section, dit Marthereau.

Puis on écouta, machinalement.

— Quand j’suis t’été en permission, bourdonnait un invisible parleur, on a été triste d’abord, parce qu’on pensait à mon pauv’ frère qu’a disparu en mars, mort sans doute, et à mon pauv’ petit Julien, de la classe 15, qu’a été tué aux attaques d’octobre. Et puis, peu à peu, elle et moi, on s’est remis à être heureux d’être ensemble, que veux-tu ? Not’ petit loupiot, le dernier, qui a cinq ans, nous a bien distraits. I’ voulait jouer au soldat avec moi. J’y ai fabriqué un petit flingot. J’y ai expliqué les tranchées, et lui, tout freluquant de joie comme un z’oiseau, i’m’tirait d’ssus en gueulant. Ah ! le sacré p’tit mec, il en mettait ! Ça fera un fameux poilu plus tard. Mon vieux, il a tout à fait l’esprit militaire !

Silence. Ensuite vague brouhaha de conversation au milieu desquelles on entend le mot de : « Napoléon », puis une autre voix — ou la même — qui dit :

— Guillaume, c’est une bête puante d’avoir voulu c’te guerre. Mais Napoléon, ça, c’est un grand homme !

Marthereau est à genoux devant moi dans le chétif et étroit rayonnement de notre chandelle, au fond de ce trou obscur et mal bouché où passent par moment des frissonnements de froid, où grouille la vermine et où l’entassement des pauvres vivants entretient un vague relent de sarcophage… Marthereau me regarde ; il entend encore, comme moi, l’anonyme soldat qui a dit : « Guillaume est une bête puante, mais Napoléon est un grand homme », et qui célébrait l’ardeur guerrière du petit qui lui restait