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notre artillerie s’engage de plus en plus et que l’offensive semble avoir changé de côté.

— Halte !

Une fusillade intensive, furieuse, inouïe, battait les parapets de la tranchée où on nous fit arrêter en ce moment-là.

— Fritz en met. I’ craint une attaque ; i’ s’affole. Ah ! c’qu’il en met !

C’était une grêle dense qui fondait sur nous, hachait terriblement l’espace, raclait et effleurait toute la plaine.

Je regardai à un créneau. J’eus une rapide et étrange vision :

Il y avait, en avant de nous, à une dizaine de mètres au plus, des formes allongées, inertes, les unes à côté des autres — un rang de soldats fauchés — et arrivant en nuée, de toutes parts, les projectiles criblaient cet alignement de morts !

Les balles qui écorchaient la terre par raies droites en soulevant de minces nuages linéaires, trouaient, labouraient les corps rigidement collés au sol, cassaient les membres raides, s’enfonçaient dans des faces blafardes et vidées, crevaient, avec des éclaboussements, des yeux liquéfiés et on voyait sous la rafale se remuer un peu et se déranger par endroits la file des morts.

On entendait le bruit sec produit par les vertigineuses pointes de cuivre en pénétrant les étoffes et les chairs : le bruit d’un coup de couteau forcené, d’un coup strident de bâton appliqué sur les vêtements. Au-dessus de nous se ruait une gerbe de sifflements aigus, avec le chant descendant, de plus en plus grave, des ricochets. Et on baissait la tête sous ce passage extraordinaire de cris et de voix.

— Faut dégager la tranchée. Hue !