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Bsss, bss…

— La fusée !… Elle est passée.

La fusée du shrapnell monte, puis retombe verticalement ; celle du percutant, après l’explosion, se détache de l’ensemble disloqué et reste ordinairement enterrée au point d’arrivée ; mais, d’autres fois, elle s’en va où elle veut, comme un gros caillou incandescent. Il faut s’en méfier. Elle peut se jeter sur vous très longtemps après le coup, et par des chemins invraisemblables, passant par-dessus les talus et plongeant dans les trous.

— Rien de vache comme une fusée. Ainsi il m’est arrivé à moi…

— Y a pire que tout ça, interrompit Bags, de la onzième ; les obus autrichiens : le 130 et le 74. Ceux-là i’ m’font peur. I’ sont nickelés, qu’on dit, mais c’que j’sais, vu qu’j’y étais, c’est qu’i’ font si vite qu’y a jamais rien d’fait pour se garer d’eux ; sitôt qu’tu l’entends ronfler, sitôt i’ t’éclate dedans.

— Le 105 allemand non plus, tu n’as pas guère l’temps d’t’écraser et d’planquer tes côtelettes. C’est c’que j’me suis laissé expliquer une fois par des artiflots.

— J’vas te dire : les obus des canons d’marine, t’as pas l’temps d’les entendre, faut qu’tu les encaisses avant.

— Et y a aussi ce salaud d’obus nouveau qui pète après avoir ricoché dans la terre et en être sorti et rentré une fois ou deux, sur des six mètres… Quand j’sais qu’y en a en face, j’ai les colombins. Je m’souviens qu’eune fois…

— C’est rien d’tout ça, mes fieux, dit le nouveau sergent, qui passait et s’arrêta. I’ fallait voir c’qui nous ont balancé à Verdun, d’où je deviens. Et rien que des maous : des 380, des 420, des deux 44. C’est quand on a été sonné là-bas qu’on peut dire : « J’sais c’que c’est d’êt’ sonné ! » Les bois fauchés comme du blé, tous les abris repérés et crevés même avec trois épaisseurs de