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les suit des yeux, du fond de la fosse, au milieu de ce pays peuplé d’apparitions lumineuses et féroces, de ces campagnes écrasées par le ciel.

— Ça, c’est des 150 fusants.

— C’est même des 210, bec de veau.

— Y a des percutants aussi. Les vaches ! Vise un peu ç’ui-là !

On a vu un obus éclater sur le sol et soulever, dans un éventail de nuée sombre, de la terre et des débris. On dirait, à travers la glèbe fendue, le crachement effroyable d’un volcan qui s’amassait dans les entrailles du monde.

Un bruit diabolique nous entoure. On a l’impression inouïe d’un accroissement continu, d’une multiplication incessante de la fureur universelle. Une tempête de battements rauques et sourds, de clameurs furibondes, de cris perçants de bêtes s’acharne sur la terre toute couverte de loques de fumée, et où nous sommes enterrés jusqu’au cou, et que le vent des obus semble pousser et faire tanguer.

— Dis donc, braille Barque, je m’suis laissé dire qu’i’s n’ont plus de munitions !

— Oh là là ! on la connaît, celle-là ! Ça et les aut’ bobards qu’les journaux nous balancent par s’ringuées.

Un tic-tac mat s’impose au milieu de cette mêlée de bruits. Ce son de crécelle lente est de tous les bruits de la guerre celui qui vous point le plus le cœur.

— Le moulin à café ! Un des nôtres, écoute voir : les coups sont réguliers tandis que ceux boches n’ont pas le même temps entre les coups ; ils font : tac… tac-tac-tac… tac-tac… tac…

— Tu t’goures, fil à trous ! C’est pas la machine à découdre : c’est une motocyclette qui radine sur le chemin de l’Abri 31, tout là-bas.

— Moi, j’crois plutôt que ce soit, tout là-haut, un client qui s’paye le coup d’œil sur son manche à balai, ricane Pépin qui, levant le nez, inspecte l’espace en quête d’un aéro.

Une discussion s’établit. On ne peut savoir ! C’est