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devine la pointe. Aucun autre bruit que celui de la marche de ce passant.

À peine l’Allemand est-il passé que les quatre cuisiniers, d’un seul mouvement, sans s’être concertés, s’élancent, se bousculent, courent comme des fous, et se jettent sur lui.

— Kamerad, messieurs ! dit-il.

Mais on voit briller et disparaître la lame d’un couteau. L’homme s’affaisse comme s’il s’enfonçait par terre. Pépin saisit le casque tandis qu’il tombe et le garde dans sa main.

— Foutons le camp, gronde la voix de Poupardin.

— Faut l’fouiller, quoi !

On le soulève, on le tourne, on relève ce corps mou, humide et tiède. Tout à coup, il tousse.

— Il n’est pas mort.

— Si, il est mort. C’est l’air.

On le secoue par les poches. On entend les souffles précipités des quatre hommes noirs penchés sur leur besogne.

— À moi l’casque, dit Pépin. C’est moi qui l’ai saigné. J’veux l’casque.

On arrache au corps son portefeuille avec des papiers encore chauds, ses jumelles, son porte-monnaie et ses guêtres.

— Des allumettes ! s’écrie Blaire en secouant une boîte. Il en a !

— Ah ! la rosse ! crie Volpatte, tout bas.

— Maintenant, donnons-nous de l’air en vitesse.

Ils tassent le cadavre dans un coin, et s’élancent au galop, en proie à une espèce de panique, sans se préoccuper du vacarme que fait leur course désordonnée.

— C’est par ici !… Par ici !… Eh ! les gars, faites vinaigre !

On se précipite, sans parler, à travers le dédale du boyau extraordinairement vide, et qui n’en finit plus.

— J’ai pus d’vent, dit Blaire, j’suis foutu…